Longtemps les Historiens, échangeant arguments et documents, se sont chamaillés pour tenter d'établir qu'Izernore, ce vieux Plateau d'Izernore si cher à nos coeurs d'anciens maquisards, fut jadis la célèbre Alésia, premier haut-lieu de la Résistance gauloise à l'envahisseur romain.
Mais hélas !, - et tant pis pour notre amour-propre de gens des Pays d'Ain ! -, il semble acquis que cette poche de refus de nos ancêtres, si vaillamment défendue par Vercingétorix, ne se situe pas à Izernore mais autour d'Alice Sainte-Reine ... Qu'importe après tout ... Une chose est sûre ; l'Histoire, à l'époque où Rome dominait le monde, a laissé une trace prestigieuse encore visible aujourd'hui, sur cette plate-forme d'Izernore. Et vingt siècles après l'offensive conquérante de Jules César, cette même plaine d'Izernore a contribué, grâce à son vaste terrain bien rectiligne, bien plat, s'étalant au pied de la forêt de sapins, à accélérer la libération de notre pays. Juste retour des choses, et mouvement bénéfique pour nous, du balancier de l'Histoire.
Car ce terrain d'Izernore, il a joué un rôle éminent, bien que clandestin, en accueillant les Ailes des avions de la Liberté, dans les sombres années 43-44 ... Et je suis heureux (tous ceux qui veillent, avec moi, sur la préservation de la Mémoire, un demi-siècle après, le seront aussi), que le 5 septembre de cette année 1993, il soit solennellement rappelé qu'un air pur de liberté a soufflé ici ; qu'Izernore fut le lieu d'une action courageuse de Résistance interalliée, et que nul n'a le droit de l'oublier.
Pourquoi Izernore ? Pourquoi les maquisards de l'Ain orientèrent-ils nos amis américains et anglais sur ce site pour en faire une petite base d'atterrissage ou de parachutage ?
Il y eut d'abord une raison que je pourrais qualifier de stratégique. Si modeste soit-il par rapport à d'autres, le terrain d'Izernore fut retenu, en 39-40, par l'État-major français pour y aménager un terrain de secours où, éventuellement, les avions français pourraient se poser. Le Génie de l'Air se hâta donc de mener à bien les travaux indispensables : nivellement de la plate-forme, construction de buttes et mamelons destinés à protéger les avions de chasse au sol d'un possible bombardement, etc ...
Quant aux services des Ponts-et-Chaussées de l'Ain, leur mission fut de réaliser les accès de cet aérodrome de fortune. Il se trouve que j'en eus la charge alors avec Francisque BÉARD et mon frère Julien ce qui nous serait infiniment précieux quelque temps plus tard, bien que la débâcle de juin 40 vint interrompre brutalement les travaux.
Puis ce fut l'occupation, donc dans le sillage, le sursaut au régime de Vichy. La Résistance elle s'organise peu à peu. Voici que débarque, en septembre 43, l'Anglais Richard Harry HESLOP (XAVIER), de la Mission Interalliée. Dès nos premiers contacts, XAVIER nous interroge, mon frère et moi : il faut vite trouver un terrain en vue de parachutages. Julien, sur une carte Michelin, indique à XAVIER les coordonnées de ce site d'Izernore, en vue de le faire homologuer comme terrain clandestin, - à la fois pour les atterrissages et les parachutages.
En janvier 1944, on utilisera ce terrain pour parachuter du matériel ... mais d'abord un officier anglais. Son nom est Ernest Henri VAN MAURIK, mais on le connaîtra mieux sous le pseudonyme de PATTERSON. C'est un responsable du S.O.E, britannique. Je le vois encore débouclant son parachute et m'offrant ses gants de cuir.
On reparlera d'Izernore, notamment à l'époque où la déroute allemande devient imminente. Dans la nuit du 6 au 7 juillet 44, pour la première fois en France occupée, se pose un Dakota, piloté par le Colonel HEFLIN, commandant l'unité de la 8ème Air Force U.S., chargé des opérations de ravitaillement de la Résistance. MONTRÉAL et ses hommes du Groupement Nord ont reçu pour mission de préparer le terrain, de couper des haies, de baliser, pour faciliter les atterrissages de DC3 (plusieurs se succéderont à Izernore). Aux maquisards de l'Ain, s'est mêlé un officier américain qui, très vite, deviendra leur grand ami : Owen Denis JOHNSON, alias Capitaine PAUL. Cet homme-là, cet Américain au grand coeur, restera jusqu'à sa mort, au début de février de cette année 93, parmi nous Français, et nous ne cessons de le pleurer, tant sa place était grande dans notre coeur.
C'est à lui, PAUL JOHNSON, que nous penserons d'abord, le 5 septembre 93, lors de la cérémonie qui rappellera quelle mission stratégique fut celle du terrain d'Izernore, il y a un demi siècle. J'ai souhaité, avec mes camarades de l'A.A.M.A.H.J, que cette journée soit dédiée à notre vieux camarade PAUL, dont la fidélité à ses compagnons maquisards de l'Ain ne s'est jamais démentie, et qui fut de toutes nos réunions, de tous nos congrès, de tous nos rassemblements, lui qui subit le feu meurtrier de l'attaque hitlérienne contre le Maquis de l'Ain, à la Ferme de la montagne, le 8 février 44, Lui qui a choisi de reposer pour toujours au pied du monument d'Echallon, pas très loin d'Izernore.
Et puis, ce jour là, PAUL JOHNSON sera vraiment parmi nous, à double titre. Avec ses camarades du Maquis de l'Ain bien sûr, mais aussi avec ses compatriotes américains. Car à Izernore, le 5 septembre, une imposante délégation du 492ème "Bomb Group" américain, que préside le Colonel BRADBURY (BRAD) se mêlera à nous lorsque nous dévoilerons la stèle rappelant qu'ici même, sur cette portion de la terre de France, des Dakotas se sont posés dans la nuit froide de l'occupation pour nous apporter espoir et réconfort.
Comme tous mes amis, je penserai très fort ce jour-là à l'amitié franco-anglo-américaine des temps terribles de la guerre, Et d'abord à mon vieil ami PAUL, camarade de combat, qui ne pourra pas, hélas, éprouver l'immense joie d'être à nos côtés, alors qu'il écrivait, le 20 juin 92 : "je suis content à l'idée de faire une fête du 50ème anniversaire de la commémoration franco-américaine du premier atterrissage en France occupée d'un Dakota à Izernore",
Oui, c'est à lui, à tous ses compatriotes alliés que nous songerons ... A tous les "passeurs du clair de lune" qui risquèrent leur vie, - et la donnèrent souvent -, pour rendre à la France la liberté
perdue.
Marius ROCHE