La neige peu à peu s'est dissipée, dans les chaînes de montagne du Haut-Jura au Bugey, les premières feuilles annoncent ce printemps de la libération.
A travers la tourmente de février, le maquis de l'Ain a subsisté, maintenant il prend une part de plus en plus active aux opérations de sabotage prévues par l'Etat-Major interallié. Partout dans la région les voies sont coupées, les locomotives mises hors de service. Les parachutages se succèdent à une cadence jamais encore atteinte.
Le groupement nord, sous les ordres de Noël PERROTOT (MONTREAL), n'a pas un instant cessé son activité. Surmontant ses deuils, le groupement sud s'est réorganisé rapidement sous l'impulsion d'Henri GIROUSSE (CHABOT).
Dans tous les camps, comme celui d'APPRIOU (ROLLAND), de nouvelles recrues arrivent. Malgré ses discours et sa propagande, l'ennemi doit constater que la résistance dans l'Ain n'a pas été abattue.
Dès les premières semaines de mars, les troupes serviles du maintien de l'ordre de Vichy montent à l'assaut. Sévèrement défaites, elles ne tardent pas à abandonner.
Devant cet échec, les Allemands, en cette période cruciale, n'hésitent pas à soustraire de nombreux effectifs pour engager de nouvelles opérations contre ce maquis de l'Ain qu'ils ne peuvent terrasser.
Le 7 avril au matin, toute la région d'Oyonnax et le sud du département du Jura sont encerclés.
Mais forts de l'expérience acquise par leurs victoires sur les miliciens et G. M. R., les hommes de Georges BENA (MICHEL), de Marcel APPRIOU (ROLAND), de Charles BLETEL, ont adopté une nouvelle tactique.
Plus de batailles rangées, les maquis décrochent pour revenir, par surprise, sur les arrières de l'ennemi.
Bien que perdus dans la nature, dépourvus bientôt de tout ravitaillement, souffrant du froid, de la faim, les hommes de MONTREAL harcèlent la Wehrmacht, lui inflige de terribles pertes.
Une fois encore, la population va être l'objet de la rage impuissante de l'occupant. Des patriotes sont fusillés. Tandis qu'Oyonnax vit à nouveau des heures d'angoisse, Racouze, Chougeat, La Rivoire, Vernon, Sièges brûlent. Ce dernier village devait être le théâtre de l'épisode le plus terrible de cette répression.
Le premier jour des opérations se trouvait au P. C. le Lieutenant Elysée DARTHENAY, jeune et magnifique St-Cyrien, venu se joindre au groupement nord depuis deux mois, après une évasion mouvementée d'Allemagne. Ce chef avait su s'imposer rapidement par sa vaillance et sa bonté. Aussi ne pouvait-il admettre de ne pas se trouver avec ses soldats pour les guider et partager leurs dangers. Refusant d'écouter les exhortations de ses camarades, il décide de regagner la zone du combat, emmenant avec lui un agent de liaison, André BESILLON à la figure très douce d'adolescent : il vient d'avoir dix-sept ans.
Appréhendés à Oyonnax, muets et méprisants sous les coups, tous deux sont transportés à Sièges vers leur tragique destin.
Dans le décor hallucinant d'une nuit illuminée par les brasiers, alors que les paysans à peine vêtus sont sauvagement chassés de leur demeure, ils sont enfermés avec trois autres dans une bergerie isolée.
Pendant de longues heures, ils vont subir les tortures les plus atroces.
Lorsque le jour se lèvera sur le hameau en ruines, la sinistre bergerie ne sera plus qu'une vision d'horreur, sur le sol éclaboussé de sang, gisent les corps de DARTHENAY et de ses malheureux compagnons presque nus, la chair en lambeaux.
Au souvenir de ces martyrs, il est impossible de ne pas associer celui du Lieutenant Paul DE VANSSAY. Prisonnier évadé, il a su par son sens des responsabilités, sa pureté, s'attirer sans réserve la confiance de ses hommes.
Le 8 avril, il commande une patrouille de vingt-et-un hommes sur la route de Bellegarde à Nantua. Ayant atteint le territoire de Montanges, il décide d'occuper un emplacement surplombant la route pour y tendre une embuscade.
Au moment précis où il donne l'ordre à son groupe de gagner cette position, les Allemands qui déjà l'occupent et s'y dissimulent, ouvrent le feu. Sa situation ainsi renversée est sans issue, le groupe, à découvert, va être anéanti par un ennemi nombreux qui le domine et l'écrase.
Pourtant DE VANSSAY fait face; l'unique fusil mitrailleur des nôtres crache rageusement. Bientôt l'arme s'arrête, son servant tué net. DE VANSSAY le remplace aussitôt, mais autour de lui ses camarades succombent, broyés par les rafales de projectiles.
DE VANSSAY, criblé de balles et d'éclats, est lui-même affreusement mutilé. Sans cesser de tirer, les Allemands s'approchent et le cernent, ainsi que les quelques blessés, survivant encore. L'heure du sacrifice suprême a sonné, mais DE VANSSAY possède sur lui des papiers compromettants pour la sécurité des autres sections. Surmontant sa souffrance, résistant à l'évanouissement qui le guette, à l'hémorragie qui l'épuise, agonisant, il rassemble ses dernières forces, et avale ses papiers déchirés, emportant, comme DARTHENAY, son secret avant d'expirer au milieu de ses vingt camarades tués au cours de cet inégal combat.
La Voix du Maquis