Plus s'approche le terme de cette année 1943, et mieux se structurent les "poches" de Résistance.
Elle prend corps, la Résistance, et peu à peu le maquis devient une force. Aux actions sporadiques mais dures, aux coups de main divers qui vont se multipliant en ce début d'hiver, vont s'opposer avec violence et sauvagerie les forces d'occupation. A la guérilla et aux opérations de harcèlement, succède le temps des représailles sanglantes, celui des exécutions sommaires.
La rafle de Nantua du 14 décembre restera dans notre Histoire l'une de ces grandes tragédies, épisode meurtrier d'une répression aveugle qui entend d'abord frapper les populations civiles, les terroriser par des "avertissements" monstrueux. L'occupant espère ainsi obtenir le rejet unanime d'une action résistante... ce qui ne sera pas le cas.
II n'y eut pourtant, à Nantua, aucune mesure entre l'acte isolé de trois jeunes gens révoltés promenant à demi-nus, - le corps peint au goudron de croix gammées -, deux collaborateurs notoires (une "correction" accueillie avec faveur par la population, dénoncera le préfet) et la déportation massive de quelque cent cinquante hommes de 18 à 40 ans qui s'en suivra. Des hommes et des adolescents dont un grand nombre ne reviendront jamais des camps de la mort. Bilan terrible auquel il faut ajouter l'exécution sommaire du maire démissionnaire d'Oyonnax et d'un adjoint, celle d'un industriel de la ville et, dans la côte de Maillat, celle du Dr Emile MERCIER, chef de la Résistance de Nantua.
On a retrouvé dans les archives administratives le mot-à-mot du rapport établi par le préfet de l'époque. Si certains commentaires sont suspects et témoignent d'une grande servilité à l'égard de Vichy, ce rapport en revanche est d'une précision implacable sur l'ampleur de l'événement
"Vers 7 h 50, écrit le préfet, 500 militaires allemands environ appartenant vraisemblablement à des formations de police et de S.S. ont débarqué en gare de Nantua où elles avaient été amenées par train spécial. Une partie de ces forces a été conduite aussitôt vers Oyonnax, tandis que le plus grand nombre restait à Nantua, occupait le bureau de poste, cernait l'ensemble de la ville, ou barrait toutes les issues, et commençait des visites domiciliaires".
On imagine ce que fut cette aube glaciale dans la ville - sous préfecture... Tandis que le maire, le Dr MERCIER, médecin du maquis et le capitaine de gendarmerie VERCHERE (qui sera lui aussi déporté) étaient appréhendés et conduits à la gare de Nantua, gardés dans un local spécial, la grande rafle s'organisait. Tous les hommes valides trouvés dans les rues ou les immeubles furent embarqués sous escorte jusqu'à la gare où fonctionnait une sorte de centre de triage : là on décidait du sort des habitants en fonction de leur âge, mais aussi de leur "aptitude à travailler".
C'est ainsi que, très vite, 150 Nantuatiens furent gardés sans raison comme otages, et embarqués dans un train spécial qui quitta la gare vers 13 heures en direction de Bourg pour être de là, acheminés la nuit suivante sur Compiègne, à l'exception de quelques uns qui purent sauter du train. Les autres partirent pour les camps de concentration nazis. Ils furent 116, sur lesquels 95 ne revinrent jamais.
Parallèlement, mentionne un rapport de gendarmerie, "le collège de Nantua a été fermé provisoirement sur ordre de Mr l'inspecteur d'Académie". Terrible décision, apparemment banale, dont les circonstances et les conséquences ont été fort bien relatées par les potaches, dont Marc MAGNARD. Car enfants et adolescents furent aussi les victimes innocentes de cette journée de folie hystérique du 14 décembre 1943. Direction, personnels de l'établissement, enseignants, mais aussi élèves, - 21 au total -, rejoignirent les adultes pour être embarqués dans le convoi sinistre qui les conduisit dans les camps d'extermination.
Nantua et sa région, on s'en doute, sont plusieurs jours sous le choc. Ne demeurent dans la ville que quelques hommes valides qui ont pu échapper aux mailles du filet, ou bien qui eurent la chance d'être absents ce jour-là, ou retenus par leur travail hors de la cité.
L'avis placardé par la Kommandantur confirme bien aux habitants que "150 hommes de Nantua entre 18 et 40 ans seront menés pour la durée de la guerre dans un camp de travail en Allemagne".
Quant au préfet de l'Ain, il constate "qu'à la suite de mesures extrêmement graves, la population de Nantua et d'Oyonnax semble complètement consternée. Il ne semble pas que des réactions de sa part soient à redouter...".
Mais, sans doute inquiet et redoutant un sursaut de révolte à l'occasion des obsèques des quatre patriotes fusillés (dont le Dr MERCIER), ce fonctionnaire zélé respectueux de l'ordre vichyste ajoute aussitôt : "Je me dois de souligner qu'il existe dans l'arrondissement de Nantua, en général, des éléments subversifs et notamment des bandes de réfractaires qui sont susceptibles de provoquer des incidents. J'ai donc demandé des renforts de police pour assurer le maintien de l'ordre au moment des funérailles des victimes et au cours des jours qui suivront".
Les occupants hitlériens et leurs serviteurs français vont vite s'apercevoir qu'il faudra compter de plus en plus avec ces "éléments subversifs" et autres "bandes de réfractaires". L'an 1944 est tout proche...
La Voix du Maquis