Engagé à 17 ans dans l'AS comme agent de liaison et passe dans le maquis sous les ordres du capitaine Louis dépendant de Montréal.
La guerre. La résistance 1943-1945
Le parcours du résistant se présente sous la forme d’un interview.
Il répond aux questions qui lui sont posées.
Les trois engagements en 1944 comme combattant volontaire :
Agent de liaison et engagement dans le maquis (Résistance)
Engagement dans la 3e DIA (Division d’Infanterie Algérienne)
Engagement dans l’aviation
Monsieur AROUD, bonjour
Dans la chronologie de votre vie, à quelle période correspond exactement cette époque ?
Il s'agit d’une période qui s’étend de 1943 à 1945. J'avais 16 ans en 1943 et 18 ansà la fin de la guerre.
A cette période vous étiez lycéen ? Où faisiez-vous vos études secondaires ?
En 1943, j’étais alors élève en classe de Seconde au lycée Lalande de Bourg-en-Bresse. Comme j'étais un mauvais élève du genre chahuteur, j'ai ensuite été placé dans une institution privée (“un genre de boite à bac” ) à Saint-Symphorien-d’Ozon où je suis entré en classe de première. Ma scolarité fut aussi fonction de l’évolution du contexte historico-géopolitique : Bourg-en-Bresse fut occupée par les Allemands à la suite du débarquement allié en Afrique du Nord (la ville a été en zone libre jusqu'au 11 novembre 1942). En 1943 nous étions donc sous occupation allemande.
En cette période d’occupation, quel était l'état d'esprit parmi vos camarades et vos professeurs ?Parliez-vous de la situation entre élèves ?
Comme on peut aisément l’imaginer : nous parlions tous beaucoup de l’Occupation. Je me souviens surtout du fait que l’on avait souvent faim car l’alimentation était rationnée. 350 grammes de pain par jour, c'était peu pour des jeunes. Ceci s’additionna à l’occupation allemande et nourrit un sentiment de révolte qui se ressentait dans l’atmosphère ambiante qui est était particulièrement lourde.
À Saint-Symphorien-d’Ozon, on entendait très nettement les bombardements américains et anglais sur Vénissieux (qui se trouve à plus de 10 km). L’état d'esprit qui prévalait à ce moment-là était donc celui d’un très fort rejet de la présence allemande et de la guerre.
Qu' est ce qui vous a poussé à vous engager ?
Indiscutablement, l’amour de la liberté pour la France et peut-être, un certain goût du risque et de l’aventure. À 16 ou 17 ans, je ne mesurais pas bien tous les dangers que cela représentait.
Mon désir de participer à la Résistance s'explique aussi par l'exemple qu’incarnaient des élèves de terminale, plus âgés que moi, et dont plusieurs ont été de grands résistants. Ils se connaissaient déjà très bien depuis très longtemps. À mon grand dam, ces élèves de terminale m’ont dans un premier temps repoussé, ce qu'aujourd'hui je comprends très bien car je n 'étais pas intégré à leur groupe.
Tout le lycée de Bourg-en-Bresse était empli d’une vigueur animée par le désir de faire vivre la Résistance. D’ailleurs, ce lycée a été décoré de la médaille de la Résistance. Je crois que c'est le seul lycée français qui ait reçu cette très grande reconnaissance.
En 1944, vous avez à peine 17 ans. C'est très jeune pour devenir un Résistant. Comment cela a-t-il commencé ? Dans quelles circonstances et par qui avez-vous été introduit dans le milieu de l’armée secrète ?
À l'époque j'habitais à Ceyzériat, un village qui se trouve à 8 km de Bourg-en-Bresse et à 2,5 km de Revonnas, où habitait la famille Fornier. Je connaissais bien Pierre Fornier et un peu son frère, Bob Fornier. Ce dernier était le bras droit du général Charles Delestraint, basé à Bourg-en-Bresse. Delestraint avait été choisi par de Gaulle pour réorganiser la Résistance de la zone sud ; Bob dirigeait quant à lui les maquis de l’Ain.
Un jour Pierre m’a dit “viens voir ce que nous avons dans nos caves”. Sa famille cachait des pilotes anglais et américains. Je suis sorti de ces caves malade en pensant à ce secret qu'on venait de me faire découvrir. J'ai ressenti la peur de me faire prendre par les Allemands, de subir des tortures et de ne pas pouvoir y résister. Mais malgré cette peur j’avais une envie d’action. Je sentais que c’était le moment de faire quelque chose pour la libération de la France.
Un évènement tragique s’ensuivit. Sans doute sur dénonciation, peut-être aussi par imprudence, la familleFornier fut ensuite arrêtée ainsi que les personnes présentes chez eux à ce moment-là, Pierre et d'autres personnes ont été déportées à Buchenwald mais Bob a pu s’échapper des griffes allemandes. De ce fait, la direction du maquis de l'Ain a changé et c'est le colonel Romans-Petit venu du maquis du Vercors qui a pris la succession de Bob Fornier comme commandant des maquis de l’Ain et du Haut-Jura.
Dans les premiers mois de 1944 eut lieu d’une manière disparate mon premier engagement comme volontaire en tant que modeste agent de liaison dans la Résistance, plus précisément dans l'AS (Armée Secrète).
Avez-vous suivi une formation militaire ?
Je n'ai reçu aucune formation militaire. On apprend très vite à se servir d'une arme. Pour ma part, j'ai commencé à avoir des armes très jeune. On apprend aussi à se méfier des armes ! La mitraillette Sten pouvait partir facilement si on tapait un peu fort la crosse par terre !
Après toutes ces années, avez-vous gardé des souvenirs très précis de cet engagement de jeunesse ?
Peu de choses : en ce qui concerne ma participation à la Résistance, bien distincte de ma participation au maquis, j’ai été un modeste agent de liaison. J’ai effectué des missions, porté des documents ou des objets, accompagné des gens, et ceci pendant environ trois ou quatre mois avant le débarquement en Normandie. Dans la Résistance, la discrétion était la plus totale. Moins on avait d’informations mieux cela valait. On avait des systèmes de reconnaissance qui variaient tout le temps. On nous donnait de faux noms et des signes de ralliement différents.
Que vous reste-t-il de cela ?
Il me reste peu de souvenirs, si ce n’est deux ou trois missions que j’ai accomplies et qui m’ont marqué à toujours. Il est impossible, 59 ans après, de retrouver trace des contacts que j’ai pu avoir. Néanmoins, j’ai essayé. Mon passé s’est refermé pendant des dizaines d’années jusqu’au moment où des enfants et des petits-enfants ont commencé à me poser des tas de questions. J’ai voulu reprendre contact avec les anciens résistants de l’Ain. Une grande partie de mes recherches - qui ont duré plus de deux ans, et qui continuent actuellement avec beaucoup de difficultés - arrivent maintenant à quelques résultats de reconnaissance.
Quel a été votre rôle pendant cette période ? A quelles opérations avez-vous participé ?
Je n’avais pas de statut bien précis. J’étais agent de liaison, de livraison, d'accompagnement pour Pierre Paul ou Jacques. Mon jeune âge en 1944 (17 ans) me permettait, vis-à-vis de l'occupant, de passer plus inaperçu. Je n'ai pas aujourd'hui le souvenir de codes, de noms ou d'adresses mais je me souviens en particulier de deux missions qu’on m'a confiées.
Pour moi, la plus extraordinaire fut la suivante : je devais accompagner une personne qui arriverait à la gare de Bourg-en-Bresse avec une valise dont j’avais toute ignorance du contenu - peut-être un poste émetteur ou des armes. Je devais ensuite conduire cette personne à Lyon dans un autre réseau de résistance. Seuls des signes de reconnaissance et un mot de passe devaient nous permettre de nous retrouver. Voici comment cela s’est déroulé.
Je vais en gare de Bourg à l'heure dite avec mes signes de reconnaissance visuelle. Ayant pris un billet pour Lyon, je suis assis dans la salle d'attente, lorsque tout à coup la gare est envahie par les Allemands. Tout est bloqué. Une certaine peur m’envahit alors soudain. Pour une raison que j’ignore, les Allemands ne rentrent pas dans la salle d'attente.
Quelques minutes après, entre en gare un train allemand blindé. De ce train descend à mon très grand étonnement une femme porteuse de la reconnaissance visuelle convenue. Mais elle est de plus accompagnée par un officier allemand qui porte une valise. Il conduit cette femme jusqu'au passage pour piétons et lui rend la valise. Le train blindé s'en va. Les Allemands quittent la gare et tout semble rentrer dans l'ordre. Moi j'avais quitté mes signes de reconnaissance dès l’arrivée des Allemands dans la gare et j'étais toujours dans la salle d'attente. Cette femme y entre alors, portant elle-même la valise. Silence total et regards très soupçonneux. Le train pour Lyon est annoncé, tout le monde se lève pour y monter. A l'époque les wagons étaient constitués de compartiments indépendants avec une porte donnant à gauche et une à droite en fonction du quai, il n'y avait pas de couloir central dans les trains régionaux. Je décide de suivre cette femme et de monter dans le même compartiment. Je suis dans la plus grande incertitude et je n'ai personne pour me dire ce que je dois faire. Je m’interroge sur les suites à donner à cette mission. Fallait-il tout arrêter ? À 17 ans on est complètement inconscient et j’ai pensé que la meilleure façon d'en savoir plus était de la draguer ! Elle était un peu plus âgée que moi, elle devait avoir une vingtaine d’années. Pour ma part à cette époque, je faisais plus que mon âge. À l'arrivée à Lyon je lui demande “où allez-vous?”. Elle me répond “je ne sais pas”. Je lui dis “j'ai un copain à Lyon qui pourrait peut-être nous héberger. Je ne sais pas s'il est là”. Je le joins, je dis à Roger Roth, un bon ami de Mont July à Ceyzeriat : “Tu sais je suis avec quelqu'un en qui je n’ai aucune confiance, mais on verra bien”. Je propose donc à cette femme de m'accompagner chez Roger. Elle accepte, portant toujours sa fameuse valise. Moi, il n’était absolument pas question que je l'aide à la porter, c'était trop risqué.
A cette époque les moyens de transport étaient rares : seulement quelques bus. Nous étions donc à pied. Et en cours de route on se fait arrêter par une patrouille allemande ou milicienne. Cette femme sortit alors une carte de la police, de la Gestapo ou de la milice, je suppose ! Bien sûr, on nous laisse alors passer sans contrôle, mais ma méfiance et ma peur avaient monté de deux crans.
Nous arrivons à Vénissieux chez Roger, en qui j'avais toute confiance. Je lui fais part immédiatement de toutes mes réserves. Nous restons très méfiants, mais tout a l'air de bien se passer. Nous vivons ensemble au moins deux ou trois jours. Elle n'était pas farouche et nous avons passé ensemble, elle et moi, des moments délicieux jusqu'au moment où j'ai pu joindre mon contact à Lyon. Je lui ai fait part de ce qui venait de se passer et il m’a répondu. “Oui nous la connaissons bien, elle est dans la Résistance et possède une carte spéciale”. Je leur apporte alors la valise à l'endroit indiqué. La femme s’en va. Je lâche le plus tôt possible cette mission et je rentre dans mon village.
Cette jeune femme restera pour moi un mystère. Qui était-elle exactement ? Je suppose qu'elle devait faire partie de la famille Darnand, le grand chef de la milice nationale. (Cette famille était établie près de Saint-Amour. C’était une famille totalement divisée, comme il en existait beaucoup à cette époque, avec des “collabos” et des résistants. Il y a aujourd'hui encore des anciens résistants dans l’Ain qui s'appellent Darnand). Alors qu'est devenue cette femme ?
Quelques semaines après, je passai pour je ne sais plus quelle raison au col de France au-dessus de Jasseron à 4 km de mon habitation. Le col était tenu par les FTP (Francs-tireurs partisans, branche communiste du maquis) avec, comme l'un des responsables, monsieur Evieux, un militant communiste de mon village. Il me dit alors “nous avons arrêté une femme qui portait une carte de la Gestapo”. Je lui ai expliqué que c'était quelqu'un de la Résistance et j’ai insisté pour qu'il se renseigne au maximum avant une exécution éventuelle. Puis je suis parti et je n’ai rien su après.
Bien plus tard, après plus de trenteans, j'eus envie d'en savoir davantage, mais c'était déjà trop tard. J'ai entrepris des recherches aux archives départementales de l'Ain (j’en profite pour remercier ici les archivistes de l'Ain qui m'ont beaucoup aidé dans ce travail). Ce que j'ai découvert c'est que trois femmes en possession de cartes de la Gestapo et essayant de passer dans les maquis avaient été arrêtées et fusillées. A la même époque.
Dans les années 1970 - j’ai revu Roger Roth. Il était parti à la fin de la guerre aux Etats-Unis (à Hollywood !). Il a voulu savoir ce que j'étais devenu et, de passage en France, il a pu me retrouver et nous avons été très heureux de déjeuner ensemble dans un restaurant de Lyon, où nous avons parlé de nos vies et évoqué cette étrange mission. Puis il est reparti aux Etats-Unis.
Quelle est l‘autre opération qui vous a marqué ?
C’est une mission du maquis qui consistait à prendre à Bourg-en-Bresse une camionnette marchant au gazomètre et bourrée de produits alimentaires et de conserves. La prise de cette camionnette avait été négociée - d’après ce que j’ai compris - entre son propriétaire (qui devait baigner dans le marché noir de produits alimentaires) et la Résistance. Pour cela, je devais accompagner trois autres maquisards qui descendaient d'Oyonnax ou de Nantua. Comme toujours, je ne devais pas en savoir plus. Sécurité oblige ! Le rendez-vous était fixé à l'entrée de Bourg, au début de la rue Charles Robin. Le dispositif était très simple : mon rôle consistait à amener les maquisards à cette camionnette dans Bourg. Je devais marcher devant sur la gauche. Derrière moi, à 50m : un homme du maquis, et à sa hauteur, en face, un deuxième homme puis derrière, le troisième qui était 50m plus loin. Tous les trois portaient un imperméable qui dissimulait une mitraillette. Nous avancions au milieu des passants quand brusquement surgit sur notre droite, de la rue du 4 septembre, une patrouille allemande. Je ne sais pas ce qui a pris un des maquisards mais - excès de zèle ou peur ?- il dégaina sa mitraillette et tira. Tout le monde fut pris de panique : passants, maquisards et même les Allemands. Ce fut un sauve-qui-peut général ! Je ne sais plus ce qui est arrivé à la suite de cette opération ni ce qui s’est passé après dans Bourg-en-Bresse comme sanctions. Des gens ont peut-être été fusillés. En général en représailles à toute action subversive, les Allemands exécutaient des otages. Je rappelle que les otages étaient des personnes qui n'étaient pas en règle, avec des papiers non- conformes ou qui n'avaient pas respecté les ordres de l'occupant, tels que le couvre-feu. De 10 heures du soir à huit heures du matin il était strictement interdit de circuler. Si vous étiez pris en ville dans ce laps de temps vous étiez traité comme un otage provisoire.
Cette mission fut donc ratée, nous n'avons pas pu parvenir à la camionnette. Pour moi c'était une catastrophe. À ce moment-là, je me suis dit que j'avais peut-être été remarqué par des collabos, par un milicien. Je me suis donc arrêté pendant quelque temps de faire des missions, jusqu'au moment où j'ai décidé de rejoindre le maquis de l’Ain dans l’AS (Armée Secrète). A cette époque c'est-à-dire sur la période 1943-1944, la France était totalement occupée et dans les montagnes, bien cachés et bien défendus, il y avait des groupes de maquisards par-ci par-là.
Dans le maquis en pleine montagne, c'est un tout autre mode de vie ?
J’étais sous les ordres du capitaine Louis qui dépendait de Montréal. Le tragique et le comique se côtoient souvent en période de guerre. Il m'est arrivé quelques histoires drôles. La première nuit que j'ai passée dans le maquis, nous couchions dans la paille sous un abri de fortune constitué de tôles ondulées, sans protection, ni devant ni derrière. Il faisait beau, nous dormions à la belle étoile quand brusquement nous avons été réveillés vers 5 ou 6 heures du matin par des rafales de mitraillettes. J'ai immédiatement pensé qu’on nous attaquait. Mais j'ai vu que mes voisins étaient tranquilles. Je leur ai demandé ce qui se passait. Ils m’ont répondu “ils sont en train de chasser le lapin à la mitraillette ! ”. C’était un excellent exercice de tir !
Une autre fois le PC (Poste de Commandement), si j’ai encore bonne mémoire, m'avait dit de partir dans les environs du camp à la recherche d’un certain Thomson (ou Peters je ne sais plus). C'était un Anglais qui assurait la liaison en morse avec Londres (le morse est une écriture manuelle électrique qui peut exprimer ainsi chaque lettre grâce à des signaux longs ou courts. Tout le monde a connu le SOS). Je n'ai pas trouvé tout de suite cet anglais et je suis revenu bredouille au PC. On me dit alors “ Est-ce que tu as regardé dans les fossés ?” C’est ce que j'ai fait et j’ai retrouvé notre homme puis l’ai ramené. Il était ivre ! J’ai demandé s'il allait passer les messages dans cet état. On m'a répondu que cela ne me regardait pas mais j’en ai su quand même un peu plus par la suite…
Chaque opérateur en morse avait sa propre façon de transmettre ses messages. L'écriture personnelle de ce Thomson était marquée par son habitude de boire. A Londres on connaissait très bien le style de chaque opérateur. Si l'écriture venait à changer, c'était le signe que l'opérateur avait été pris par les Allemands, et qu’on l’obligeait à envoyer des messages, en vue de démanteler la Résistance. Il est évident que les Allemands ne l‘auraient pas fait boire !
Malgré l'amitié des copains et les aventures drôles ou insolites, la vie dans le maquis était rude en effet mais exaltante. C’est tout au moins le souvenir que j'en ai aujourd'hui. La Résistance a joué un rôle majeur dans la libération de la France en complément des armées alliées. Les maquis de l’Ain et du Haut-Jura faisaient partie des maquis les plus importants de France.
Le débarquement en Normandie s’était déjà déroulé depuis plusieurs semaines et le 15 août 1944, un nouveau débarquement avait lieu dans le sud-est de la France aux environs de Saint-Tropez. Les Allemands ont essayé de barrer la route aux troupes de débarquement de de Lattre de Tassigny, mais très vite, certaines voitures (Jeep, voitures américaines du débarquement spécialement équipées d’émetteurs et de récepteurs radio) ont pu remonter, très vite, grâce à l'aide des résistants (des Alpes du Sud au Jura). Trois jours après le débarquement, ils commençaient à émettre bien au-dessus de Lyon des messages destinés aux Allemands pour leur faire comprendre qu’un grand nombre des troupes du Débarquement du 15 août se trouvaient déjà là (et leur laisser croire que des troupes nombreuses avaient pu franchir la ligne de front). Si bien que les Allemands se sont sentis pris en tenaille avec ce nouveau débarquement.
Les premières troupes qui avaient débarqué le 15 août sont passées le 5 septembre 1944 à Fort-de-France près de Collonges dans l'Ain, pas loin de la frontière suisse. C'était la troisième DIA (Division d'Infanterie Algérienne) avec laquelle nous avons eu tout de suite des contacts merveilleux et fraternels. Cette division était composée, comme toutes celles qui avaient débarqué, de Français d'Afrique du nord et des colonies, avec la participation d’habitants autochtones des colonies et des et Protectorats africains, tous équipés de matériel américain : vêtements, camions, armements, nourriture etc.
Brusquement j'avise un militaire qui ressemblait au frère aîné d'un copain d'enfance de Sfax en Tunisie. Il s'appelait Régis Rendu. J’étais très copain à Sfax avec son frère Jacques et je lui dis “Je veux partir avec vous” . Nous sommes allés voir son colonel - du nom de Destremo. Il se trouve qu’il avait été, je crois, mon professeur de tennis à Sfax. Je lui ai alors demandé de rentrer dans son régiment. Il en a discuté avec mon capitaine Louis. Or, les ordres nationaux étaient que les maquisards devaient rester dans le maquis et ne pas passer dans les armées de débarquement. (Ce qui n'empêchait pas les maquisards de combattre aux côtés de ces troupes…)
Je ne me suis cependant pas résigné. J’ai alors décidé de déserter le maquis ! Et me voilà parti le 5 septembre avec la troisième DIA, engagé volontaire pour la deuxième fois. Le bataillon était commandé par le commandant de Rocquigny, sous les ordres duquel se trouvait le sous-lieutenant Olivier Brosset Heckel mort pour la France à Saulxures dans les Vosges le 10 octobre 1944. Il avait 25 ans. Je l’ai vu la veille de sa mort. Il y avait une grande amitié entre nous. J’étais en observation sur le front quand je lui ai disau revoir le 9 octobre. Il m’avait dit qu’il pensait me proposer pour que je reçoive la croix de guerre 39-45. Je garde de lui un souvenir inoubliable.
Nous avons ensuite pris la direction du nord avec toute la compagnie mais le lendemain, nous fîmes demi tour ! Il a fallu repartir vers le sud parce que les Italiens avaient attaqué le col du petit Saint-Bernard. Je suis donc repassé clandestinement devant mon ancien campement du maquis.
Il s’est trouvé alors qu'un certain nombre d'unités de combat étaient déjà sur place et allaient manquer d'essence. Ils ont donc mobilisé plusieurs camions GMC pour aller au ravitaillement de carburant vers Chambéry. Et ils n'ont pas trouvé mieux que de me prendre pour accompagner cette mission. Le camion était conduit par un militaire. Nous fîmes d’abord le plein de jerricanes et nous repartîmes. A ce moment-là s’est produit l’un des drames de ma vie.
On roulait très vite bien sûr. On passe dans un petit village nommé Chambéry-le-Vieux (à côté de Chambéry) et je vois débouler sur notre droite une petite fille, d’environ 7 ans, qui traverse la route avec un pot de lait à la main (on disait une “berte de lait” dans la région). La petite a été très violemment percutée par notre camion, projetée en l'air et tuée sur le coup. On s'est bien sûr arrêté, on a fait une constatation immédiate avec la police qui nous a laissés repartir. Notre mission était prioritaire. Arrivé au camp, je suis tombé dans les pommes. Cette image de la fillette tuée est restée gravée dans ma mémoire.
Ensuite, l'unité de combat à laquelle j'étais affecté est repartie vers le nord-est. Je suis repassé au fond d'un camion à Collonges pour la deuxième fois, lieu de ma désertion du maquis. C'est dans ces circonstances que je me suis retrouvé incorporé. On m’a donné une formation sommaire sur le maniement des armes modernes américaines et j’ai eu quelques entraînements. Mes capacités d'observation (j’avais une sorte de don pour cela) m’ont valu d'être observateur sur le front. Je me souviens de la formidable amitié qui régnait entre nous tous, comme dans le maquis, du reste.
Un jour, partant dans une grange où nous avions établi notre campement, trois nord-africains ont essayé d'abuser de moi. Je me suis défendu en poussant de grands cris pour alerter mes compagnons, qui sont arrivés très vite, et j’ai heureusement pu échapper à mes agresseurs.
Le front était tout près et j'ai participé, en tant qu’observateur sur la ligne de front, à la bataille de Rupt-sur- Moselle.
Le premier souvenir que j'en ai c’est qu’on marchait dans un bois et on nous avait dit de faire très attention car il y avait des Allemands cachés et accrochés dans les arbres qui tiraient au passage de nos troupes. C’étaient des kamikazes.
A cet endroit, je me souviens aussi en particulier de cette nuit où il pleuvait à verse. La fatigue était terrible et je ne voyais pas comment on pouvait dormir ou se reposer. Les camarades m’ont alors expliqué que c'était simple : il suffisait de choisir un terrain en pente et surtout, recouvert de cailloux puis de s'allonger tout habillé avec un imperméable en-dessous. L’eau ruisselait ainsi en-dessous de notre corps. Nous étions tellement fatigués que nous arrivions même à dormir sur cet inconfortable matelas de pierres et malgré les bombardements et les tirs.
Et c'est là que j'ai subi la première grande attaque allemande avec les “orgues de Staline” qui tiraient 25 obus en moins d’une minute. Il en tombait autour de nous comme de la pluie. Là, plus question de dormir ! Cette bataille fut très dure pour nous et les Alliés, et cela pour deux raisons simples. La première c’est qu’il faisait tellement mauvais que l'aviation ne pouvait intervenir et la deuxième c'est que les Allemands avaient placé leurs canons au pied des Vosges, collés contre la montagne.
On ne pouvait les atteindre que très difficilement. Heureusement, dès que l'aviation a pu intervenir, la situation s'est trouvée rapidement inversée.
Quelques jours après le 9 octobre 1944, on est venu me trouver sur le front pour me dire que j'étais démobilisé parce que je n'avais pas 18 ans et on m'a renvoyé dans mes foyers. Voilà comment j'ai quitté la troisième DIA, un mois et quatre jours après l'avoir intégrée… J’ai des papiers officiels pour prendre n’importe quel moyen de locomotion pour me rendre à Bourg-en-Bresse. J’arrive un soir à Bourg-en-Bresse, à cette époque, pas de moyen de communication avec ma mère qui se trouvait à Ceyzériat. Je prends une chambre à l’hôtel de France. Je me couche pour la première fois depuis longtemps dans un lit. Impossible de dormir. Je couche par terre et enfin, je parviens à dormir tout de suite.
Nous en arrivons à votre troisième engagement.
En novembre 1944, après avoir été démobilisé de la troisième Division d'Infanterie Algérienne, je me suis retrouvé à Bourg et je me suis engagé pour la troisième fois à 17 ans. A ce moment-là il n'y avait que dans l'aviation qu'on pouvait s’engager à moins de 18 ans. J’ai donc signé un contrat de trois ans le 29 novembre 1944.
Parmi les nouvelles recrues, personne n'avait de grade, sauf moi qui avais été nommé “première classe” grâce à mes engagements militaires précédents. Cela m'évitait toutes les corvées auxquelles les copains avaient droit !
J’ai pu intégrer une préparation pour faire partie du personnel navigant. Au bout de quelque temps, je suis parti à Montluçon puis à Uzès. Nous y sommes restés à peu près six mois. A Montluçon j'ai eu un baptême de l'air dans un super avion allemand pris par les alliés, c'était un bombardier Junkers Ju88 qui pouvait emmener une vingtaine d'hommes à bord. Ce qui m'a le plus étonné dans cet avion c'était sa grande maniabilité, la souplesse des ailes. Il semblait voler comme un oiseau qui monte et qui descend.
J’ai appris le fonctionnement d'un avion, c'est-à-dire les effets d'aspiration, le maniement du manche à balai et les bases de la technique de navigation aérienne. Comme j’avais du temps, j'ai même étudié, sur la demande de mes chefs, le fonctionnement d'une bombe atomique ! Ils m'avaient remis toutes les informations - qui, du reste, avaient été publiées dans la presse. Et à ma grande surprise, j'ai même été sollicité pour faire un exposé sur la question devant mes camarades. Ensuite nous avons été transférés à Nîmes et à Salon-de-Provence.
Là il m'est arrivé une drôle d’aventure. On m'a fait défiler à Marseille comme un aviateur dans la prestigieuse escadrille Normandie-Niemen et ceci devant Alexandre Bogomolov, ambassadeur de Russie et d'Union Soviétique en France.
Par la suite, je suis retourné à Marseille pour monter la garde dans le port où il y avait de nombreux “liberty ships”, ces bateaux de guerre que les Américains fabriquaient en grande série sur le modèle de la production des automobiles à partir de 1941.
La fin de la guerre arrive. On propose alors aux engagés volontaires qui avaient fait leur temps militaire soit de rester dans l'armée, soit d’être démobilisés. Et comme le temps d'engagement volontaire pendant la guerre comptait double j'ai été démobilisé le 5 mai 1946. J'avais 19 ans et j’avais terminé mon service militaire.
Avez-vous pu retrouver plus facilement des traces de votre passage
dans le maquis ?
Sur ma présence dans le maquis, c'est un peu plus simple. Toutd’abord,j’avais un papier du capitaine Louis. J’ai pris contact avec « l’association nationale du souvenir des maquis et des Résistants de l’Ain et du Haut Jura ». J’ai reçu un accueil chaleureux et un soutien total, du président de cette association, Monsieur Jean RIVON qui habite à Mâcon (cet homme remarquable et dévoué à la mémoire de la Résistance est décédé le 13 janvier 2020).
Témoignage recueilli le 28 mars 2021 par Phidias MHJSP