Maquis de l'Ain et du Haut-Jura

LA BATAILLE DU RAIL ET LE PLAN VERT

Opération sur le centre ferroviaire d'Ambérieu en Bugey


Une action à haut risque dans la nuit du 6 au 7 juin 1944


Le centre ferroviaire d'Ambérieu en Bugey, au carrefour des lignes conduisant vers Bourg-Paris, Bourg-Strasbourg, Lyon-Marseille, Culoz-Genève, Culoz-Chambéry et l'Italie, est d'une importance stratégique capitale pour les communications allemandes.

Sabotage ferroviaire
Sabotage ferroviaire

- Le matériel roulant compte un nombre de 60 à 100 locomotives, réparties entre le parc, le camp, les voies de raccordement, la grande et la petite rotonde.
- Pour entretenir ce matériel, des installations spéciales : ateliers de réparations avec machines-outils, levage, vérin, ensemble soudure,...
- 3 plaques tournantes (des deux rotondes et du parc)
Les plaques tournantes commandent l'entrée et la sortie des rotondes et du parc. Une plaque tournante détériorée, aucune locomotive ne peut plus passer et celles qui sont à l'intérieur ne peuvent plus sortir. Elles sont donc prises au piège.
- Un ensemble autonome, constitué une grue de 50 tonnes, indispensable pour réduire les déraillements. Cet ensemble comporte avec la grue de 50 tonnes, une locomotive, deux wagons pour le personnel de manoeuvre et de protection, deux wagons blindés avec un armement très sophistiqué : mitrailleuses lourdes et canons automatiques de 20 mm pour la défense anti-aérienne, mitrailleuses légères, mortiers et armes individuelles.

L'importance du centre d'Ambérieu est telle que les Allemands ont affecté à la protection du dépôt et de la gare, une garnison qui permet d'avoir jour et nuit, 50 hommes de garde. De plus, il y a, à proximité immédiate d'intervention, les unités qui gardent les installations de la Base Aérienne d'Ambérieu et des dépôts de munitions de Leyment. Enfin, une unité d'intervention d'un effectif de 100 à 200 hommes est à l'instruction au Château de Douvres. Il est bien évident que nous ne pouvions rien entreprendre contre un tel ensemble défensif aussi longtemps que nous n'aurions pas les moyens nécessaires ou une occasion favorable pour mener une action décisive. Nous n'aurions rien pu faire sans la participation des cheminots.

L'OPÉRATION

Nos camions ont roulé de nuit dans un blackout total. Heureusement Jo PETTINI connaît bien l'itinéraire et nos chauffeurs sont entraînés à ce genre de sport. Nous avons fait un grand détour pour aborder Ambérieu par le sud et nous nous arrêtons à 500 mètres du pont de l'Albarine. C'est là qu'est fixé notre rendez-vous avec les cheminots. Nous faisons la dernière partie du parcours à pied, en file indienne et en silence.

Il est minuit trente. La mise en place s'est effectuée comme prévu. Le ciel est couvert, il pleut légèrement, c'est un temps idéal pour nous. Heureusement que les cheminots seront là pour nous conduire vers les objectifs. Les équipes de sabotage se forment dans le plus grand silence. LOUISON a pu contacter NICOLE et VERDURAZ et tout se présente bien. Une déception cependant, la grue de 50 tonnes a quitté Ambérieu dans la soirée en direction de Lyon. Elle ne sera pas au rendez-vous.

Il nous reste à attendre l'heure H. Nous regardons fréquemment nos montres, nous parlons tout doucement de choses anodines pour essayer de penser à autre chose, mais comme tous les combattants les ont connues, nous vivons quelques minutes d'angoisse dans l'attente de l'action. Je me demande encore une fois si tout a bien été prévu car lorsque l'action sera déclenchée, je ne pourrai plus intervenir puisque nous n'avons pas de postes radio.

0 heures 50 - Deux des équipes dont l'objectif est plus éloigné, se mettent en route.
7 juin - 1 heure 00 - La sirène déclenchée par LEMITRE hurle. Cette sonnerie, dans la nuit, à la minute prévue, nous apporte un soulagement, mais elle produit en même temps un effet saisissant. Elle se prolonge et sonne longuement et il semble qu'elle sonne plus fort et plus longtemps que d'habitude.

Toutes les équipes se sont élancées, dans la nuit, colonne par un, avec les cheminots en tête de chaque équipe vers chaque objectif comme suit
- Gaston BRUCHER : le parc ;
- Marcel LASSUERE : le raccordement
- André MAGDELAINE et Marcel FOSSERIER : le camp
- Roger PECAUT et Henri PASSARD : la Grande Rotonde ;
- Julien GOYET, Georges MUTEL et Marcel DUTISSEUIL : la petite rotonde ;
- Louis JASSERON : l'atelier du vérin ;
- Georges BUTTARD : l'atelier de levage ;
- Antonin CHENAVAZ : l'ensemble soudure.

Les équipes sont à peine parties que des coups de feu éclatent dans la nuit. Et puis ce sont des hurlements, des cris de frayeur. Je m'avance sur les voies toujours accompagné de Camille TRABBIA et nous trouvons MAZAUD (Jean SIGNORI) en train de maîtriser un Allemand que SOUPOLAIT vient de désarmer. Le prisonnier est complètement affolé. Il crie sans que nous parvenions à le faire taire. Toujours des coups de feu et soudain, très près de nous, des sommations en allemand, toujours dans la nuit noire. Le prisonnier en profite pour essayer de se sauver, mais il sera abattu aussitôt. MAZAUD poursuit sa mission tandis que je retourne avec TRABBIA vers l'élément de recueil. Mais toujours des coups de feu, des coups de fusils ponctués par des rafales d'armes automatiques.

Je suis très inquiet et me demande si nous ne sommes pas tombés dans un guêpier, et si nous allons pouvoir remplir notre mission. Je crains surtout que nous ayons des pertes. Le temps me paraît long, lorsque soudain une violente explosion illumine la nuit. Je reconnais le bruit très sec que fait le plastic, en explosant. D'autres explosions se succèdent rapidement et pendant une trentaine de minutes c'est un véritable et grandiose feu d'artifice. A plusieurs reprises, une explosion plus violente que les autres (les plaques tournantes sans doute!).

Je suis donc rassuré en ce qui concerne la mission et les explosions auront été si nombreuses que bien des habitants d'Ambérieu son persuadés qu'il y a eu bombardement aérien.
Mais des coups de feu isolés continuent à troubler le silence de la nuit, tandis que le retour des différentes équipes vers notre point de recueil s'avère très long. Le sergent SOUPOLAIT repart avec son groupe sur les voies pour essayer de retrouver des isolés et il a l'occasion d'abattre un deuxième Allemand. Finalement il manque encore cinq hommes lorsque je donne l'ordre de repli en demandant aux cheminots d'attendre encore pour les récupérer, mission qu'ils acceptent bien volontiers avec leur dévouement habituel, d'autant plus volontiers que les premiers compte rendus font apparaître une réussite totale de l'opération.

Le retour au camp s'opère sans encombre mais notre inquiétude ne sera dissipée qu'au lever du jour lorsqu'une liaison des cheminots nous apprend que les absents sont en lieu sûr, et qu'un enfant de troupe, légèrement blessé à la cuisse, a été conduit tout naturellement chez Marcel DEMIA.

Nous avons en même temps un premier bilan de l'opération
- 52 locomotives hors service.
- une plaque tournante très endommagée (celle du parc), les deux autres immobilisées pour quelques jours.
- les machines-outils détériorées.
- tous les objectifs ont été atteints sauf l'atelier de levage où BUTTARD a été accueilli par des rafales de mitraillettes. Il a essayé de pénétrer par une autre voie, mais là aussi les Allemands étaient restés à leur poste. BUTTARD dit « La Butte » est furieux. Cet homme à l'aspect rude et bruyant est en réalité un garçon sensible au coeur sur la main.

Il ne s'avoue pas vaincu et dit à André MAGDELAINE : «Je n'ai pas pu faire mon boulot de nuit, je le ferai de jour». Effectivement, le 1 7 juin vers treize heures, au moment où les ateliers sont vides, BUTTARD vient placer ses charges et en plein jour, l'atelier de levage est à son tour complètement neutralisé. Un tel acte de bravoure et de patriotisme mérite notre admiration.


Récit par le Commandant Henri GIROUSSE (CHABOT)

Pose d'explosifs sur la voie
Pose d'explosifs sur la voie
Sabotage ferroviaire
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Lexique des sigles
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